Je m’assois à une terrasse en face de l’établissement et regarde le flux des élèves sortir par la petite porte en bois, jouant parfois des coudes, pour respirer l’air d’une liberté enfin retrouvée. C’est ce qui se lit en tout cas sur leurs visages.
Ils précipitent alors leur main à leur poche, ou à leur sac, pour se saisir de l’objet incarnant désormais ce sentiment de liberté, leur smartphone. Ils consultent alors leur profil Snapchat, Instagram, Twitter, Facebook, se prennent en photo pour « snaper » ce moment éphémère, et pourtant quotidien, de la fin des cours qu’ils envoient à leurs contacts, ces derniers répondant généralement par un snap de même nature.
J’observe ces jeunes connectés se regrouper en cercle pour s’esclaffer ensemble de la dernière vidéo publiée ou d’un snap reçu communément. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils communiquent entre eux. Ils ne sont pas concentrés sur leur précieux objet connecté mais réagissent et interagissent mutuellement tout en continuant le “check” de leurs différents réseaux.
Car elle est bien là la différence entre ces jeunes et nous, les moins jeunes. Les adolescents sont capables de suivre plusieurs conversations différentes, qu’elles soient humaines ou numériques. Leur attention peut se porter sur plusieurs écrans simultanément sans se perdre dans le flux d’informations. Au final, il semblerait que ce soit uniquement le discours de leur parent qu’ils ne semblent pas intégrer lorsqu’ils sont occupés devant la télévision, l’ordinateur ou le téléphone. L’ironie de la parentalité !
Plus je les regarde et plus je me rends compte que cet objet n’est en réalité plus un objet mais la continuité de leur personne. Ils n’accordent plus tellement d’importance à la forme de l’objet, tous les smartphones se ressemblant de plus en plus, mais attribuent une importance vitale à la qualité de leur publication ainsi qu’à celles de leurs pairs. Leurs comptes sont le reflet de leur personnalité, de leur attentes, espoirs et déceptions. Ils ne se projettent plus dans le futur, à confirmer que nous même le faisions à leur âge, mais veulent le moment présent et surtout, le côté éphémère de l’instant. Snapchat est le premier représentant de ce désir.
Puis les élèves se séparent, partent dans des directions opposées afin de rentrer chez eux. De là, ils se retrouveront. Car la particularité de cette nouvelle génération, apportée par les smartphones, réside dans le fait qu’ils ne sont jamais seuls.